Miss Bobby_Birdman

Miss Bobby_BirdmanBirdman, c’est comme une fresque murale représentant une bataille ou une scène particulièrement forte : de loin, vous pouvez apprécier le tableau dans sa globalité, le travail titanesque, et de près, votre œil se balade dans tous les sens pour tenter d’accrocher tous les axes de lecture, tous les personnages distincts, chacun ayant leur propre action, leur propre histoire, leur propre impact sur cette grande épopée. Et puis, c’est aussi apprécier le travail méticuleux du peintre, sa précision, ses coups de pinceau, sa technique, son génie.

Ouvrez grand vos yeux pour décortiquer l’oeuvre magistrale de l’oiseau fou : Birdman.

Synopsis

À l’époque où il incarnait un célèbre super-héros, Riggan Thomson était mondialement connu. Mais de cette célébrité il ne reste plus grand-chose, et il tente aujourd’hui de monter une pièce de théâtre à Broadway dans l’espoir de renouer avec sa gloire perdue. Durant les quelques jours qui précèdent la première, il va devoir tout affronter : sa famille et ses proches, son passé, ses rêves et son ego…
S’il s’en sort, le rideau a une chance de s’ouvrir…

Freud aurait adoré Birdman pour sa quintessence sur le surmoi. L’être aux prises par sa perception de la réalité, le bon et par sa propre fiction, le mal, paradoxalement imagé par l’oiseau synonyme de liberté. Alejandro González Iñárritu a dessiné sous le prisme de Birdman ce qui sommeille en tout à chacun, avec un degré de folie plus ou moins élevé : le masque que l’on porte dans ce grand théâtre que l’on appelle la vie.

Quoi de mieux que le comédien pour illustrer le fil du rasoir ? Être complexe partagé entre sa personne, son ego, son image, son succès, son profond mal-être, sa solitude.  Birdman dépeint des portraits de comédiens coincés entre la scène et la réalité, au point de fusionner avec ce masque de l’illusion. Aucun n’y échappe, chacun reflète une image erronée de lui-même, mis en exergue dans le jeu de cadrage avec les miroirs des loges par exemple, qui montre bien cette mise en abyme, ces différentes couches – le personnage, le reflet, la caméra et enfin le spectateur – tous les niveaux de lecture qui nous sont offerts incitant notre œil et notre compréhension à analyser cette oeuvre toute aussi complexe et riche que ses personnages. Que ce soit l’actrice (Naomi Watts) voulant accéder à Broadway, synonyme d’apologie pour fuir son manque de caractère, cet acteur (Edward Norton) à l’ego sur-gonflé sans cesse dans le paraître pour cacher les dysfonctionnements de sa sensibilité, l’avocat (Zach Galifianakis) assoiffé par l’argent et le rendement pour se donner une stature, la fille (Emma Stone) complètement paumée cultivant son côté rebelle pour se faire remarquer. Et enfin, le maître de cérémonie, le metteur en scène (Michael Keaton), qui tente de mener sa propre valse en marchant pieds nus sur des bris de verre.

Miss Bobby_Birdman

Michael Keaton… quand l’absolu génie d’Iñárritu s’applique dans ce fabuleux « détail » repoussant les interrogations du public à son paroxysme par la fusion parfaite de la réalité et de la fiction : l’acteur s’entremêle étroitement avec son rôle. À l’instar de son personnage, Michael Keaton s’est envolé dans les hautes sphères de la célébrité grâce à Batman pour ensuite retomber dans l’oubli en tentant de maintenir sa carrière à flots. Comme Keaton, Riggan a explosé le box office avec son rôle dans Birdman, s’étiquetant au fer rouge sur le front du titre de super-héros. Comment faire oublier cette marque visible, reconquérir le public (et la critique qui s’est faite une idée de vous bien pitoyable sans pour autant avoir eu un aperçu de tout votre talent), se convaincre soi-même et les autres de la profession de notre talent dans un registre totalement différent ?

S’il n’y avait que ça… Relancer sa carrière, se surpasser alors qu’il y a toujours cette ombre qui plane au-dessus de vous : l’affiche est superbe en ça. Les démons qui surplombent, toujours au-dessus de la tête, gardant un certain périmètre de « sécurité » entre le monde qui vous entoure et votre folie, prêts à bondir pour vous garder dans votre bulle.

Je ne peux pas terminer cette critique sans vous parler de la réalisation, fabuleux plan séquence de deux heures (petit jeu : amusez-vous à dénicher les coupes) concentré dans un quasi huis-clos, dans ce labyrinthe qu’est ce théâtre, figure de style à lui tout seul, embarquant le spectateur dans un tournis incessant (au rythme d’une musique répétitive, tambourinant votre cerveau au point de vous rendre aussi dingue que les personnages), vous faisant monter, descendre, partir, repartir, appuyant sur votre condition de physique et votre souffle, engageant votre esprit dans des millions de choses à penser (mes problèmes, ma pièce, les acteurs à gérer, ma copine, mon ex-femme, ma fille, ma popularité, etc.). Que vous le vouliez ou non, vous allez être pris dans la même spirale que Riggan, dans ce ballet psychotique. Vous serez enfermés dans ce théâtre, pratiquement à l’abris de la cohue extérieure.

Birdman est en fait la rencontre de plusieurs arts : la peinture, le théâtre, le cinéma. L’explosion talentueuse par la réalisation, l’écriture, l’interprétation, les lectures. J’aurais voulu prendre 4h pour vous écrire deux feuilles doubles sur le film pour vous mentionner le succès et la reconnaissance recherchés par l’acteur alors qu’ils peuvent être atteint différemment, ne serait-ce que par les réseaux sociaux. J’aurais aimé vous parler de cette sensation d’être toujours au bord du gouffre (idéalement imagé à l’écran). J’aurais aimé vous parler de l’aspect médiatique, sur ce qui construit et déconstruit une personnalité reconnue, l’attente du public, en complète opposition avec le talent.  J’aurais aimé vous parler des scénettes dans ce plan séquence. J’aurais aimé vous parler de la folie de Times Square face au huis-clos.

Parler de chef d’oeuvre avec Birdman ne sera pas de trop.

Prenez votre envol avec Birdman. Lâchez prise. Tout va bien se passer.

Sortie en salles le 25 février.

27/01/2015