J’ai eu la chance parmi quelques blogueurs de rencontrer les deux acteurs principaux de Mea Culpa, Gilles Lellouche et Vincent Lindon qui se sont prêtés au jeu des questions avec beaucoup de sensibilité et de passion.
Par rapport à votre scène d’introduction, comment se prépare-t-on à tourner une telle scène sachant que c’est dans un espace ultra restreint ? Est-ce qu’il y a de la place pour la comédie au détriment de l’action ?
Gilles Lellouche : Dans l’ordre, pour se préparer à ce genre de scène, c’est ni plus, ni moins comme quand on prépare j’imagine un ballet, une danse, c’est une chorégraphie. On a un coach, des cascadeurs avec lesquels on réfléchit à la meilleure manière de faire la scène, à la faisabilité. Eux ils ont une espèce de scène idéale dans la tête qu’ils ont mise au point avec Fred (Cavayé) et après on répète dans une voiture, on découpe en segments la séquence. On voit ce qui est jouable, ce qui n’est pas jouable, ce qui est visuel, ce qui ne l’est pas. Il y a vraiment un rapport esthétique aux choses dans le film de Fred, on regardait selon les angles, les axes ce qui était le plus payant. Ensuite c’est des répétitions encore, encore et encore. En fait, c’est l’art de tricher, on se frôle, on passe à un centimètre, on essaie de parer les choses. Et c’est assez grisant, car c’est assez rare en France d’avoir ce genre de scène, moi personnellement, j’en avais jamais eu. C’est grisant, parce que ça file un peu la trouille, faut être honnête, parce qu’on sait qu’un geste raté, c’est un coup porté. C’est de la répétition, de la répétition, de la répétition. En ce qui concerne la comédie, il n’y a pas de comédie, il n’y a que du physique. En ce qui concerne la comédie dans ce genre de scène, la comédie est itinérante au physique, c’est un mélange des deux, on joue avec son corps et pas avec sa tête.
Avant de tourner ensemble dans ce film, vous connaissiez-vous ?
Vincent Lindon : Je savais que Gilles Lellouche existait déjà ! Oui, on se connaissait un petit peu, on s’était croisé à quelques reprises et on s’était bien apprécié. En fait, on s’est anormalement pas rencontré dans la vie pour deux personnes qui ont été amenées souvent à être dans des endroits similaires. On s’est croisé au cour Florent pour la première fois où j’étais venu faire une masterclass et où Gilles était élève. Lui connaissait mon existence et moi pas encore. Il était un élève. Il y en a un sur 100 000 qui perce, à peu près, c’était lui, mais moi je ne le savais pas encore, parce qu’il n’avait pas encore percé. Et après on s’est repéré comme des gens se repèrent et qui se voient 10-15 secondes. Je me souviens d’un jour qui m’a beaucoup marqué. Il était en scooter au coin de la rue Jacob et moi je traversais la rue Bonaparte, et lui venait d’être papa. On a eu une discussion le temps que le rouge passe au vert et le vert passe au rouge, c’était extrêmement bien veillant. C’était un très beau moment qui a duré rien du tout et puis les scooters sont partis. Puis on s’est recroisé une ou deux fois, puis après on a pris un verre dans un café pour un projet qu’on avait ensemble et qu’on n’a pas fait. Puis après on s’est croisé 2-3 fois dans des cafés ou dans des restaurants, et on s’est vraiment vu pour la première fois à la préparation du film. Mais on se cherchait, on s’admirait, on était intrigué l’un par l’autre. Je crois qu’on reconnait les gens, sans les reconnaître, qui ont une démarche assez semblable de la vôtre, une énergie par exemple. Moi très vite je cherche des choses chez les gens. Il y a ceux qui sont énergiques et ceux qui ne le sont pas, je vais très souvent vers les gens énergiques, et j’aime bien aller vers les décideurs, ceux qui prennent leur destin en mains, ce qui est le cas de Gilles. J’aime bien aller vers des hommes, des carrures, pas des demies portions, ce qui est le cas de Gilles aussi. Et j’aime bien aller vers les grandes gueules, ce qui disent ce qu’ils pensent, qui n’envoient pas faire dire ce qu’ils ont à dire, ce qui est le cas de Gilles aussi. J’aime bien les gens qui se démarquent, qui ont des idées, qui peuvent de temps en temps assumer de croire qu’ils vont avoir raison contre tous, même si ce n’est pas toujours le cas, ce qui est le cas de Gilles aussi. C’est une sorte de deuxième bel emmerdeur magnifique. L’air de rien.
G.L. : Plus discret, plus planqué.
V.L. : Oui, parce que j’étais là, mais sur le prochain film, tu vas être Vincent et t’auras un Gilles. C’est notre métier de repérer les choses, de très vite faire des scanners des situations, des métiers, de choper très vites les gestes des gens. On a une sorte de machine cérébrale qui ingurgite et qui enregistre les mouvements, les façons dont les gens se meuvent dans la vie, on aura peut-être à les réutiliser pour jouer un barman, un taxi, un boucher, donc on voit aussi les gens qu’on croise, on chope des choses, un peu comme les gens qui font des imitations. Les 3-4 petites choses qui font qu’on sait si on a des atomes crochus avec quelqu’un. Voilà pourquoi les acteurs se connaissent si vite un tout petit peu, mais savent s’ils sont attirés ou pas. Hein, c’est ça ?
G.L. : Oui, absolument.
Aviez-vous déjà l’envie de travailler ensemble avant ce film ?
G.L. : En ce qui me concerne, beaucoup. J’avais très envie de travailler avec Vincent. Je vais pouvoir raccorder les wagons sur ce qu’il a dit tout à l’heure. Moi, quand j’étais au cours Florent, on avait beaucoup de masterclass et pour être très honnête, je m’en foutais complètement, et je m’en foutais complètement de ceux qui venaient les faire avec cette présomption, cette prétention idiote qu’on a à 20 ans. Le seul que je ne voulais pas rater, c’était Vincent, parce que j’aimais l’acteur et parce que j’aimais son discours. Vraiment je buvais ses paroles. Il m’avait faire rire, il avait dit : « toute façon je suis en train de vous donner des conseils et il y en a 1 sur 100 qui se dit : « donne-moi tes conseils, j’en ai rien à foutre de tes conseils moi ! Dans deux ans je serai au top ! »». Il y en avait un qui n’en avait rien à foutre, c’était moi ! (rires) Et ça m’a parlé, ça m’a fait rire. Et je me suis dit que certainement lui avait pensé la mêmes chose, 5 ou 6 ans auparavant. Donc j’ai toujours une forme d’admiration pour son discours que je trouve très honnête, très intègre et très différent de la langue de bois habituelle et usuelle de tous les artistes qui ont peur de se couper d’une certaine partie de leur public. Lui s’en fout et je pense que quand tu t’en fous, finalement c’est là que t’es plus fort. Non seulement il y a un discours, mais il y a aussi un choix, une direction dans la carrière. J’ai toujours observé Vincent, c’est pour ça que j’ai toujours eu envie de tourner avec lui, j’ai vu à quel point il a sacrifié même à un moment donné. Par exemple, il y a Patrick Bruel et Etienne Daho, eh bien lui a choisi le camp d’Etienne Daho, c’est-à-dire qu’au sacrifice d’un cinéma très populaire, et populaire il l’est, il s’est servi de sa popularité pour aller vers des choses belles, élégantes, pointues et nobles. Ce qui est très rare et ce qui est pour moi un exemple à suivre. Et donc quand j’ai eu l’opportunité de pouvoir tourner avec Vincent, j’étais comme un fou.
V.L. : Moi j’avais aussi très envie de tourner avec Gilles et j’ai très envie de retourner avec Gilles, ah mais oui c’est le plus important, ce n’est pas tout de tourner encore faut-il après laisser une trace qui donne envie de se retrouver. Dans la vie, il n’y a pas de problème, mais au cinéma, c’est ça qui est aussi très important. Aujourd’hui, c’est qu’il faut trouver le terrain pour faire ça et c’est ce qu’il vient d’expliquer. Il ne faudrait pas qu’on tombe là-dedans et on ne tombera pas là-dedans, parce qu’avant j’aurais été garant tout seul, mais maintenant il est aussi fort que moi pour ça. Il faut savoir refuser quelques fois, peut-être qu’on va nous envoyer 5-6-7-10-15 projets sur les 5 années qui vont suivre, il faudra absolument résister contre l’agrément de la retrouvaille qui sera peut-être inférieur aux désagréments du résultat de quelque chose dont on se sera auto persuadé que c’est bien juste pour se retrouver, alors que ce n’est pas le cas. Il faut une base, il faut un bon scénario, parce que c’est avec de beaux projets qu’on fait de beaux mariages et que les gens s’entendent bien. Si la base n’est pas juste et que c’est juste une excuse pour se retrouver, on croit qu’on est content et quelques fois on s’en veut même. Comme on ne peut pas s’en vouloir à soi-même, c’est à l’autre qu’on en veut. Et inversement. C’est comme ça qu’arrive des disputes dans les couples ou dans l’amitié ou dans des fâcheries. C’est quand deux personnes qui s’aiment partent sur un mauvais coup. Les gens que j’admire, qui me plaisent dans le métier – dont tu fais partie – je ne veux pas être un mauvais souvenir pour eux. Je ne veux pas que dans leur biographie, quand ils sont là tout seul, quand l’envie leur prend ou quand ils sont en vacances, qu’ils se baladent, on a des heures tout d’un coup, qu’on retrace ce qu’on a fait, on se dit : « je sers à quoi ? Où je suis ? D’où je pars ? Où je vais ? Où je suis en ce moment ? D’où je viens ? », je n’aime pas dans le cerveau de la personne qu’elle pense : « ah oui, il y a juste l’anicroche, un petit écart de parcours » et là, hop, il y a ma tête ou mon nom qui arrive. Je veux être un bon souvenir. Pas forcément par un succès, car je ne suis pas intéressé par les entrées. Si on me les donne, je suis ravi, mais ce n’est pas ça. Je préférerais toujours me coucher le soir avec un film qui a été un échec et au moins je peux dire tout simplement : « mais ce n’est pas grave, moi je l’ai fait et je vous emmerde », parce que moi je continue à l’aimer. Plutôt que d’avoir fait un succès qu’on m’aurait soufflé, auquel je n’aurais pas pensé tout seul et après je me couche le soir et je me fais : « mais si vous me l’aviez pas dit, je ne l’aurais pas su ». Et le pire étant éventuellement le choix qu’on ne voulait pas faire et en plus ça ne marche pas. C’est des choses on met très longtemps à s’en remettre et quand je dis longtemps, c’est très très longtemps, ça peut prendre des années. Ce n’est pas toute la journée, mais c’est en filigrane. Ça revient et on est son propre attaquant. Les artistes sont très très durs avec eux-mêmes, ceux qui ont une conscience. Très violents, très durs. On ne se fait jamais de cadeaux. C’est pour ça qu’on souffre autant. Pour ça qu’on a des plaies aussi grandes, c’est parce qu’on s’occupe bien de notre cas ou l’inconscient s’occupe bien de nous-mêmes. Une mauvaise décision n’a pas beaucoup de différences avec une bonne décision. Mais trente mauvaises décisions, ça fait une carrière pas terrible et trente bonnes décisions, même si elles sont entachées, ça fait une belle carrière. Et c’est pareil dans la moralité des hommes : trente petites lâchetés, on devient un gros lâche et trente petits actes de courage et on devient quelqu’un qui a été courageux. Il faut voir plus loin. Gilles le sait, et moi aussi, on a fait des erreurs et on les revendique surtout, c’est formidable. En soi, c’est rien, mais si on en fait une, immédiatement on ouvre une valve qui donne encore plus de possibilités de la refaire. En fait, il ne faut jamais céder. Si tu trahis une fois, tu peux trahir vingt fois. Il faut essayer de ne pas le faire du tout, mais c’est très compliqué, car il y a de moins en moins de films, donc il y a de moins en moins de beaux films, il y a de plus en plus d’acteurs, il y a de plus en plus d’affiches, il y a de plus en plus de bandes-annonces, il y a de plus en plus de cinémas, il y a de plus en plus de complexes, de cinémas qui ouvrent. Il y a l’angoisse toujours de gâcher la proie pour l’ombre, mais la proie n’est pas si belle des fois et l’ombre n’est pas sûre d’arriver et si elle arrive et qu’elle est belle, c’est formidable, on se dit : « j’ai eu raison de laisser passer le coup d’avant ». C’est dans tous les métiers pareil. Il y a des erreurs très excusables, mais faut qu’elles soient revendiquées. Un acteur qui me dirait : « écoute Vincent, j’ai fait ce film un jour, je ne l’aimais pas, je ne voulais pas le faire, mais je l’ai fait, car je dois donner manger à mes enfants ». Tout d’un coup il devient encore plus courageux qu’un mec qui ne fait que des bons choix. Chapeau ! Il a accepté la possibilité d’être éventuellement ridicule dans un truc qui n’est pas bien, mais il sait pourquoi au départ et il le dit. C’est beau.
G.L. : Rien à ajouter.
Donc pour le coup l’élément déclencheur pour faire Mea culpa ? C’était quoi ? Le script ? Les retrouvailles avec Fred Cavayé ? Le fait de tourner ensemble ? Tout cela à la fois ?
G.L. : Exactement. En premier lieu, c’est toujours évidemment le script, ce script en particulier, parce que c’est Fred qui le réalise. Réalisé par un autre, je ne suis pas sûre d’y aller franchement. Au même titre que quand j’avais accepté A bout portant, je l’ai accepté, parce que j’ai lu le script et je me suis dit : « où il va ce scénario ? Qu’est-ce qu’il me raconte ? Comment on peut prendre d’assaut 36 quai des Orfèvres à deux ? Il est complètement zinzin, il a complètement perdu le sens des réalités ! ». Et donc j’ai vu Pour Elle, que je n’avais pas vu. Je vois l’articulation du scénar et tout d’un coup, quand le film part, c’est-à-dire à la dernière demi-heure, quand il y a cette espèce de dernière demi-heure d’action hallucinante, je reste assis sur mon fauteuil, scotché. Je me dis d’accord, évidemment, parce qu’il a ce sens-là. Donc j’ai fait A bout portant et j’ai eu raison. Au même moment, je me souviens, on m’avait proposé La Proie, et j’ai choisi A bout portant au lieu de La Proie, parce que j’avais vu Pour Elle et ça m’a rassuré. Vraiment. Après avoir vu Pour Elle, après avoir fait A bout portant, ça m’a donné le courage, l’audace et l’envie de faire celui-là, qui aussi est un scénario, réalisé par un autre, peut être complètement ridicule. Il faut un technicien hors pair, il faut quelqu’un qui maîtrise son outil sur le bout des ongles, ce qui est son cas et de plus en plus, il a pris une espèce de maturité et surtout, il s’est décomplexé, il s’est décomplexé dans un cinéma français qui souvent a peur de son ombre, qui souvent n’ose pas, manque d’audace, qui préfère être dans des cases rassurantes par peur de déplaire. Lui, au contraire, s’émancipe dans un genre très particulier puisque rare. Evidemment que ça me donne envie et ensuite, il y a la cerise sur le gâteau, la grosse cerise sur le petit gâteau, c’est de tourner avec Vincent. Quelque chose dont j’avais évidemment envie. Je vais le répéter encore, dans les acteurs français, il y en a peut-être trois avec qui j’avais vraiment envie de travailler et lui en premier.
V.L. : Je reviens sur ce qu’a dit Gilles, c’est tout à son honneur, mais ce n’est pas totalement vrai. Le début, parce que sans t’en rendre compte, tu dessers le scénario. Je suis sûr que si on t’avait donné le scénario de Mea Culpa et qu’on t’avait dit que c’est Fred Cavayé qui va le réaliser, mais qu’untel l’a lu, moi par exemple, et Vincent a dit non, ça t’aurait interpellé. Je pense que c’est formidable que Fred le fasse, mais si le scénario ne t’avait pas convaincu à mort, même faisable par quelqu’un d’autre, tu ne l’aurais pas fait. Il se trouve que c’est un scénario qui toute façon t’aurait plu et faisable par quelqu’un d’autre, moins bien que par Fred et du coup quand c’est Fred, c’est la cerise sur le gâteau.
G. L. : Oui, tu as raison.
V. L. : Je me souviens, des coups de téléphone qu’on a eu et où tu as été extrêmement précis, tu m’as dit : « qu’est-ce que tu en penses ? », tu as attendu d’avoir ma réponse, toi, tu avais déjà la tienne dans ta tête, tu savais exactement ce que tu voulais. Je t’ai dit ce que j’en pensais, tu m’as dit ce que t’en pensais, la somme c’est : on meurt d’envie de le faire et il n’est pas question qu’il soit fait par quelqu’un d’autre que par nous, mais tu m’as donné un ou deux arguments, c’est vrai, j’avais pas vu ça, tu as raison, moi en revanche j’ai noté un petit truc, tu m’as dit : « ah oui, c’est vrai ». On est arrivé avec notre petit chapeau, on avait cinq-six trucs qui nous titillaient, pas très important, des détails, mais les détails c’est parfois très important dans un film. Fred a accepté les six ou cinq des six, un, il a été contre, mais il nous l’a très bien expliqué et il nous a prouvé par A + B qu’il était contre et qu’on allait faire comme lui l’a décidé, rien que ça c’est encore plus agréable que s’il avait cédé, parce que ça veut dire qu’il savait exactement ce qu’il voulait.
G. L. : Tu as totalement raison, mais ce que je voulais dire, c’est comme si François Ozon proposait le scénario de Star Trek. Non. C’est-à-dire, à un moment donné le scénario de Star Trek peut être extraordinaire, François Ozon est extraordinaire, le problème n’est pas là. C’est est-ce que les deux vont donner une somme extraordinaire ? C’est pour ça que je me dis, la somme de ce scénario-là, réalisé par Fred Cavayé, il y a une cohérence qui fait que oui, évidemment. C’est ça que je voulais dire.
Comme vous avez très peu de dialogues, l’émotion passe par l’action, est-ce que cela a été difficile à aborder pour vous en tant que comédien ?
G. L. : Je suis content que vous le disiez.
V. L. : Il y a plein de choses en interview qui nous revienne, j’ai toujours envie de dire « on », mais je vais dire « je », car il n’y a pas de raison que je dise « on » ou « nous », il y a beaucoup de choses qui reviennent en interview auxquelles je n’avais pas pensé en faisant les choses. Jamais je me suis exprimé à moi-même, jamais je me suis précisé le fait de « tiens, je suis en train de faire un personnage qui ne parle pas beaucoup et qui parle avec son corps ou avec son regard ». Jamais je me suis dit « tiens, je suis en train de faire un ou le plus grand, pour moi c’est LE plus grand film d’action qu’on ait jamais vu en France en langue française. Jamais je me suis dit c’est un film qui va vite et qui est violent. Jamais toutes ces choses-là me sont apparues aussi clairement. J’ai senti de très très loin que ce n’était pas un personnage très bavard, mais pas assez pour le dire : « qu’est-ce qu’il est taiseux » et pareil pour le personnage de Gilles. C’est beaucoup plus charnel, beaucoup plus organique l’acceptation d’un film pour moi. J’ai lu, j’aime et je ne me pose pas de questions. Aujourd’hui j’apprends beaucoup de choses sur le film dans lequel je suis par les questions des journalistes, de vous, j’apprends énormément de choses, je fais l’intelligent en faisant : « oui, c’est une très bonne question, vous avez raison de souligner… », j’ai mon deuxième cerveau qui fait : « oh merde, j’avais pas pensé à ça ». Il me montre quelque chose à laquelle je n’avais pas réagi parce que c’était beaucoup plus organique, c’est le corps qui parle, c’est l’envie. Je suis arrivé page 103, quand j’ai vu le mot « Fin », j’ai quasiment, pendant que je lisais les trois dernières répliques, composé le numéro de Fred. Je l’ai appelé : « je le fais Fred, j’ai adoré » et s’il m’avait demandé ce que j’avais adoré, j’aurais été bien incapable de lui dire : « je ne sais pas, tout, j’adore tout – mais quoi ? Qu’est-ce que tu penses du personnage ? », là j’aurais trouvé une excuse : « là il y a mes enfants, je te rappelle ». Je ne sais pas, sur le moment, je ne sais pas. Et après le film va tellement vite sur le tournage, pendant trois mois, je ne sais toujours pas. Je sais juste que j’ai aimé ça. C’est très bizarre.
G. L. : Parce qu’on est dans du lâché prise absolu, c’est-à-dire que tout se fait sur le moment, sur l’instant, c’est tout ce que le caractère instinctif et impulsif du jeu peut représenter. On est vraiment là-dedans. Et c’est extrêmement agréable. C’est impossible d’être mécanique, il est impossible d’avoir réfléchi une attitude. Après, avec la mixité des prises, on est un peu rôdé à l’exercice, on peut ajouter 2-3 petits trucs, mais ce que je veux dire, c’est tellement le physique qui parle, qu’on est dans des choses que l’on découvrira qu’une fois le film fini. Je n’ai aucune conscience de ce que je jouais en fait. Et c’est tant mieux, enfin il faut se calmer, sur des scènes de dialogues, etc, bien sûr, mais sur les scènes physiques, sur le danger qu’il peut y avoir dans le regard, sur l’immédiateté d’une réponse, d’un geste, c’est notre corps qui parle, qui s’exprime, comme s’il était dans un caractère d’urgence de la vie. C’est extrêmement jouissif.
V. L. : Je me souviens de la scène à Toulon, devant le commissariat, quand d’un coup je suis dans le bus, que je sors, je me fais renverser par la voiture, on a tourné cette scène et après on était sur Gilles qui avait une scène de fusillade. Je me souviens, qu’avant la prise, il avait les jetons, c’est Gilles qui avait les jetons, mais ça, la caméra, elle s’en fout complètement. Sautet m’a dit un jour une phrase que je n’oublierai jamais de ma vie, jamais, jamais – c’est drôle, je t’en ai jamais parlé d’ailleurs – je ne l’oublierai jamais de ma vie. J’étais sur le tournage de Quelques jours avec moi, j’étais avec Sandrine Bonnaire, dans une cuisine et je devais être très angoissé. J’étais très jeune acteur et c’était un metteur en scène très colérique, le monstre de metteur en scène qu’on connait et aussi, il était très autoritaire, très très dur à travailler. J’avais une peur au ventre incroyable, une peur de mal faire, la peur de ne pas être à la hauteur de tous les grands acteurs qu’il avait filmés. Et peut-être dix minutes avant la prise, je suis allé le voir, et il déambulait comme ça sur le plateau avec une cigarette. Je suis arrivé et je lui ai dit : « Claude ? » – « Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a mon gros ? » « Là, il faut que je sois angoissé… » « Je comprends rien à ce que tu me dis ! » « Je dis il faudrait que je sois angoissé, comment je peux être angoissé ? » « Bon je m’en fous ! T’as qu’à penser à ta note de gaz ou à ton chat qui est mort. Ce que je veux voir c’est de l’angoisse, de l’angoisse ! Je m’en fous ! ». Et sur le moment, je n’ai pas compris ce que ça voulait dire. Et en fait la caméra, elle veut voir quand on joue une scène d’angoisse, de l’angoisse. Peu importe si vous pensez à un truc de votre vie. Ce qu’il voulait voir c’est de l’angoisse. Le jour où Gilles a tourné cette scène, ça m’est arrivé aussi dans le film, où le personnage a peur – parce que même un flic, quand il y a une grosse grosse attaque, on en a parlé avec beaucoup de flics, le cœur est à 8 000 – Gilles, il avait peur ce jour-là, peur de se servir de cette arme, de le faire bien, peur de faire recommencer la scène. Quand il y a cinq caméras qui se mettent en route, qu’il y a trois cascadeurs qui partent en scooter, qu’il y a un truc qui va s’écrouler, on se dit : « pourvu que je ne rate pas. J’ai huit secondes sur moi, pourvu que je ne les rate pas. Je vais tout foutre en l’air ». On a peur de gêner. On a peur de gêner 80 personnes qui font leur métier, on est comme ça (il tremble). Et cette peur quand la caméra arrive, comme ça, même si vous ne vouliez pas la montrer, c’est foutu. Elle passe. Et les acteurs que j’aime, c’est ceux qui ont une énorme maîtrise de ça et qui tout d’un coup – c’est la qualité des gens qui se servent de leurs défauts pour en faire des qualités – ce sont les acteurs qui sont conscients de ça et qui font : « bah puisque j’ai peur et puisque je sais que j’ai le trac, je vais m’en servir et je vais jouer dessus ». Entre guillemets, c’est « très pute » comme mécanisme, mais les plus grands acteurs sont ça à un moment.
G. L. : Des grosses putes ! (rires)
V. L. : Et c’est là où c’est formidablement jouissif, c’est quand l’incarnation du personnage se dédouble avec le personnage du film et on ne sait plus qui est qui. On ne sait plus s’il est Franck ou Gilles, on ne sait plus si je suis Simon ou Vincent dans certaines scènes, car les deux se confondent.
Merci à Cinefriends, Tétronine et Gaumont
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Retrouvez le compte rendu de la rencontre avec le réalisateur Fred Cavayé.